25.8.14

douleurs neuropathiques

- Cards for sorrow, cards for pain -



Vous l’avez exigé, voici le retour de Pierre et Maryse dans une nouvelle lecture critique d’article (Allodynia and hyperalgesia in neuropahtic pain : clinical manofestations and mechanisms – Lancet neurology 2014 ;13 :924-35).


Pour ceux qui découvrent, le principe et de faire une lecture critique, pas de faire un topo où un revoir une prise en charge spécifique. En gros ça permet de voir où en sont les dernières avancés sur un sujet particulier.

Maryse, dans une blouse blanche, amidonnée et raide comme du marbre s'avance d'un pas vif, éparpillant les zillions d'externes, internes, assistants, souhaitant le toucher ou simplement avoir une mèche de ses cheveux cendrés. Pierre se dandine d'un pied sur l'autre en explorant les poches de sa blouse (camaïeu psychédélique de teintes grisâtres). Aujourd'hui aucun des deux n'est enthousiaste, le sujet du jour les barbant allègrement.



- Pierre !

- Maryse !

- Pierre !

- euh... Maryse ?

-Pierre, aujourd'hui je n'ai pas le temps, faisons vite : les allodynies et les hyperalgies ça fait mal, ça ne se guérit pas, dix gouttes de Laroxyl et ça ira bien, et voilà on se rentre !

- Maryse...

- Qu'y a-t-il Pierre ? Vous n'allez pas me dire que vous en avez quelque chose à secouer ? Y'a aucun vaisseau à déboucher donc vous vous en tapez ! Non ?

- Maryse, le rideau est déjà levé et la foule de douloureux angoissés vient de vous entendre les abandonner...

- Ah...

- Oui...

- On recommence alors ?

- Ça serait plus élégant...

- Très bien Pierre, discutons ensemble de ce sujet ô combien passionnant. Tout d'abord mettons-nous d'accord sur les termes : Allodynie

- Ni

- Pierre

- Oui Maryse,

- Je vous invite à m'épargner votre humour pour le reste de la soirée,

- Et après ?

- ..., je reprends, allodynie du grec allo (autre) et douleur (odynia) est une douleur provoquée par une stimulation qui normalement ne l'est pas, comme par exemple un effleurement avec cutané avec un tissu. Cette sensation est distincte de l'hyperalgésie qui vient du grec excès (hyper) et algesia (sensation de douleur) et qui correspond à un stimulus normalement douloureux mais qui l'est de façon anormalement intense.

- Maryse vous devriez réviser votre grec !

- JE quoi ?

- Vous venez de dire que douleur se disait odynia et algesia, faudrait savoir !

- Votre problème Pierre, c'est que vous n'écoutez pas et que vous simplifiez ce qui doit rester compliqué : odynia c'est la douleur, algesia c'est la sensation de douleur ! C'est comme moi qui suis neurologue et vous qui avez la sensation de l'être ?

- Vous vous moquez ?

- Non, c'est une impression ! Je continue. Ces deux sensations anormales sont décrites par 15% à 50% des patients qui ont une douleur dite neuropathique. Ce terme, que je désapprouve, car bien trop vague, regroupe toutes les sensations anormales secondaires à une lésion du système e nerveux périphériques (névralgies post herpétiques, névralgie post amputation, sensation de membres fantômes, neuropathie inflammatoires ou toxique, neuropathie auto-immune ou infiltrative, etc) ou des voies centrales de la douleur (AVC thalamique, compressions médullaires, etc...)

- Qui vient de « et cetera desunt » (et le reste est omis) et non pas de etcaetera qui est une aimable fantaisie...

- Mais, je, comment dire, un qu'est-ce que ça vient faire là ? Et deux d'où sortez-vous ça ?

- Ah mais qu'est-ce que vous croyez ? Moi aussi, je parle grec : et je tire ça de wiktionary !

- Très bien Pierre, sachez cependant que c'est du latin, mais passons. Ces différentes sensations doivent se rechercher cliniquement dès qu'un patient utilise ce vague terme « j'ai mal » et qu'une étiologie non-neurologique ne saute pas à la figure. Pour ce faire, six modalités douloureuses doivent être testées, soit avec les moyens du bord, soit avec des sondes calibrées. Chacune de ces modalités orientant le diagnostic vers des étiologies spécifiques, il est important d'être le plus précis possible.

- Attendez Maryse, je ne comprends pas, il existe un score, le DN4 (douleur neuropathique en quatre questions) publié en 2005, traduit dans toutes les langues, d'origine française qui plus est, qui fait très bien l'affaire non ?

- voui voui voui

- nan mais voui voui rien du tout ! Il existe ce score, et il est validé internationalement, vous n'allez pas me dire que vous vous croyez supérieure au monde scientifique médical tout de même ?

- nooon, mais qu'allez-vous croire Pierre ? Mais, si je vous sors un score avec trois questions dont : « le membre fait-il mal, le membre est-il tordu, la douleur est-elle apparue après un choc » pour dépister les fractures, allez-vous vous en servir ?

- Ben non, c'est idiot !

- Ben voilà, c'est pareil ! Revenons donc à nos six modalités : mécanique dynamique, punctiforme, pression superficielle, pression profonde, chaud et froid. Elles se testent respectivement par l'utilisation d'une pointe mousse (à frotter délicatement sur la peau, l'idée n'est pas de tenter une laparotomie), d'une pointe aiguisée (sans tenter d'en faire une broche), d'un doigt ganté appuyé délicatement sur la peau (le gant sert à éliminer la température corporelle de l'examinateur) et du même doigt appuyé plus fort, là encore sans tenter de voir si vous pouvez briser les os). Pour le chaud et le froid, en l'absence des tubes remplis d'eau chaude et froide, un objet en métal froid, puis le même réchauffé, peuvent faire l'affaire.

- Et ça oriente vers quoi tout ça ?

- Plein de choses, mais par exemple, une sensation d'allodynie ou d'hyperalgésie provoquée par le frottement de la pointe mousse oriente vers une névralgie post herpétiques, une névralgie du trijumeau ou une douleur centrale, une douleur à la pointe aiguisée oriente vers une lésion anatomique des nerfs, une douleur lors de la pression douce, oriente vers une douleurs post traumatique, une douleur à la pression marquée, oriente vers une algodystrophie, une douleur au froid oriente vers les douleurs post chimiothérapie ou post AVC thalamique, et les douleur au chaud, orientent vers une eryhtromelalgie.

- Maryse, ce que vous dites est beau comme un ticket de métro, mais ce n'est pas très opérant dans la vie réelle ! Dans la vraie vie, les médecins et leurs patients veulent savoir si la douleur est d'origine neuropathique ou pas, si oui comment en trouver la cause, et dans tous les cas, comment la traiter ! Et sans vouloir vous agacer, le DN4 est une aide concrète !

- Vous ne m'agacez pas Pierre, je vais juste ralentir le flot de mes pensées pour essayer de vous expliquer plus simplement : si vous êtes neurologue (c'est une hypothèse Pierre, n'en tirez aucune conclusion), vous n'avez besoin d'aucun score clinique pour évoquer une fracture du tibia. De toute façon, vous allez faire une radio et demander à l'orthopédiste de passer voir votre patient. Mais si vous êtes orthopédiste, c'est un peu court et frustrant. Pour un orthopédiste, la fracture a un sens, une trajectoire, peut ou non être déplacée et peut se traiter de différentes façons. Et bien pour les douleurs neuropathiques c'est pareil : soit vous ne savez pas et vous envoyez chez un neurologue ou un algologue, soit vous voulez savoir et vous rentrez dans les détails (ce qui vous fera gagner du temps à vous et au patient). Mais dans les deux cas, le DN4 ne sert à rien.

- D'accord, mais une fois qu'on s'est amusé à tester les différentes modalités, concrètement, on fait quoi ?

- C'est simple : soit on a une cause évidente, curable (par exemple une sciatique) ou non curable (par exemple une douleur post zostérienne) et on peut directement essayer un traitement, soit il n'y pas de cause évidente, et on a gagné le droit de faire un examen neuro complet, une imagerie du système nerveux de la zone atteinte (en général une IRM cérébrale et médullaire) et une biologie inflammatoire au sens large.

- Imaginons que la cause est évidente !

- Dans ce cas, il faut essayer des molécules de première intention. Rappelons que les morphiniques sont inutiles sur les douleurs neuropathiques (Certains extrémistes considérant même que la réponse à la morphine élimine un diagnostic de neuropathie, mais c'est très exagéré, les mécanismes d'action des morphiniques étant encore mal compris). Il reste donc les tricycliques, les antiépileptiques, les anesthésiques locaux, la toxine botulinique A et les dérivés du cannabis dans les pays où ils sont autorisés. Ils sont tous efficaces à des degrés divers sur les allodynies et hyperalgésie provoquées par la pointe mousse, par la pointe aiguisée et par le froid. Dans le cas des neuropathies au VIH, la présence d'une allodynie lors des piqures est un prédicteur de possible effet de la PREGABALINE. Dans le cas des douleurs par lésions mixtes avec une composante centrale médullaire, l'allodynie lors du passage de la pointe mousse est un prédicteur d'efficacité de la LAMOTRIGNE. Par contre, la même allodynie à la pointe mousse est un prédicteur d'inefficacité de la PREGABLINE dans les douleurs post zostérienne, ou du LEVETIRACETAM dans les douleurs de SEP. Dans tous les cas, tous les anti épileptiques peuvent fonctionner, même si en pratique très peu ont une AMM (CARBAMAZEPINE, OXCARBAZEPINE, GABAPENTINE, PREGABALINE). Et sauf cas rare, les tricycliques restent la classe la plus efficace, dont la seule limite est leur tolérance.

- AH NOUS- Y VOILA !

- Nous-y voilà où Pierre ?

- Vous nous avez fait un speech de longueur pas possible, sans nous épargner vos considérations morales sur la DN4 et sur votre analgie douteuse entre neurologues, que je suis e vous ne déplaise, et orthopédistes, tout ça pour nous dire qu'à la fin on colle du LAROXYL !

- oui

- Vous l'admettez ? Sans contester ? Vous êtes fatiguée ?

- Non Pierre, mais comme je vous l'avais dit dans notre aparté malheureusement public du début, en 2014, ce sujet n'a aucun intérêt ! Ça peut paraître cynique, surtout pour tous ceux qui ont mal et qui sont enfermés dans une spirale qui petit à petit peut tout détruire de leur santé à leur vie personnelle, mais en 2014, malgré le discours des labos et les grigris comme le DN4, ce sujet n'avance pas. Concernant les labos, il est important de leur rappeler que si, au-delà de leur discours de façade sur leur implication dans le domaine, ils voulaient vraiment s'impliquer, ils pourraient commencer par demande l'AMM « douleur neuropathique » pour leurs antiépileptiques.

- Vous me découragez Maryse

- Au revoir Pierre.

Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
Le système nerveux périphérique