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7.1.18

Neurologie et Odorat.




Pour bien commencer l'année, voilà un sujet un peu plus facile qu'à l'accoutumée. L'odorat en neurologie n'est que peu ou pas étudié et en pratique personne ne sait très bien quoi faire des symptômes liés à la présence ou à l'absence d'odeurs. Vous allez voir qu'au quotidien c'est très simple d'avoir les idées... simples.

Mais commençons par un détour afin de voir en quoi le sens de l'odorat est distinct des autres (Et inutile de penser dans votre tête que cette phrase est gentiment débile au motif que tous les sens sont uniques, parce que l'odorat est encore plus unique que les autres).


Commençons donc par un détour pseudo littéraire. Quand un romancier débute une histoire, il est de bon ton de créer le plus rapidement possible un lien fort avec le lecteur en l'immergeant dans son univers. Une des modes actuelles consiste à créer une atmosphère en faisant appel aux sens. Ça donne des premières phrases du genre :"le froid s'insinuait dans son corps comme dans son âme" ; "la grisaille s'insinuait dans ses yeux comme dans son âme"; "le hululement lointain s'insinuait dans ses oreilles comme dans son âme"; bon bref, la perception d'un stimulus perceptif s'insinue chez les héros au delà du récepteur anatomique (thermo récepteur, rétine, tympan) pour déclencher une émotion ou un souvenir conscient. Bien évidemment cet artifice pour capter l'attention du lecteur peut s'utiliser n'importe quand. Un des exemples les plus célèbres est le texte de Proust dans "Du côté de chez Swann" quand il décrit les sensations que lui provoquent la dégustation d'une madeleine. Et bien évidemment, plus l'auteur est talentueux ou inspiré, moins il lui faudra de mots pour provoquer chez le lecteur une transe légère lui permettant de rentrer dans le récit. Et de tous les sens qu'un auteur peut évoquer, l'odorat est souvent le plus efficace. Des phrases comme :"il rentra dans le pavillon de la neige parfumée", ou un titre comme "l'odeur de la papaye verte", ont un fort pouvoir d'évocation alors même que personne ne sait réellement ce que pourrait être de la neige parfumée et que peu de gens savent à quoi ressemble l'odeur d'une papaye, qui plus est verte. Évidemment ça ne marche pas à tous les coups et les auteurs moins talentueux, en voulant copier cet effet après avoir lu le conseil de Martin64 sur auteurissimo, peuvent provoquer le rejet ou le rire alors qu'ils souhaitent instiller la complicité ou de la solennité en parlant par exemple du mélange d'odeurs corporelles et de produits chimiques dans un service hospitalier après être sortis d'un ascenseur.

Vous vous dîtes peut-être à ce moment de la lecture de ce texte que je m'égare et que je rajoute inutilement du texte. Mais figurez-vous que c'est voulu, parce que si j'ai réussi à distraire votre attention pendant trente secondes et que je vous demande de vous concentrer sur vos perceptions là maintenant tout de suite, vous allez : voir que vos yeux voient (sinon c'est que vous ne me lisez pas), entendre vous entendez (y compris le silence), sentir vos vêtements dès que vous y pensez, mais que pour ce qui est des odeurs il vous faut un effort pour les sentir (sauf si vous trichez et que vous venez d'entrer dans une poissonnerie).

Contrairement aux autres sens, l'odorat ne réussit pas activer un signal dans votre conscience sans un effort de votre part en dehors de cas particuliers et rares. Pour le dire autrement, vous voyez tout le temps, vous entendez tout le temps, mais vous ne sentez pas les odeurs tout le temps. C'est même tellement intermittent que la langue française n'a pas de verbe spécifique pour ça. On ne dit pas "vous odorez", mais "vous sentez les odeurs" comme on pourrait dire "vous sentez cette piqûre".

Cette différence entre le sens de l'odorat et les autres sens a une explication et une conséquence sur les pathologies où il est altéré.

L'explication vient de l'évolution. Personne ne sait exactement quand l'odorat est apparu, mais il est probablement un des deux sens les plus anciens (avec le goût) et peut-être le plus ancien des deux dans sa fonction actuelle. L'odorat est le sens qui permet d'identifier des substances chimiques présentes dans notre environnement. Il est probable que c'est lui qui a permis aux premiers organismes vivants dotés de mobilité (les premiers tas de cellules avec un cil ou un flagelle) de détecter les sources d'alimentation pour s'en rapprocher, ou les sources de danger, afin de s'en éloigner. Cet ancêtre de l'odorat, qui est également un ancêtre du chimiotactisme, est un sens qui n'a pas besoin de système nerveux pour fonctionner. Il est d'ailleurs bien évidemment antérieur au système nerveux. Quand ce dernier est apparu (quelque part entre les méduses et les premiers poissons), l'odorat était déjà là et fonctionnait très bien. Les proto systèmes nerveux se sont donc initialement développés comme un outil permettant une meilleure coordination entre la perception d'une odeur, et le mouvement permettant de s'en approcher ou de s'en éloigner. C'est triste à dire mais le cerveau est le descendant évolutif d'un bidule reliant un nez à une nageoire.

Avec notre regard actuel, on retrouve dans ce système nerveux primitif tout ce que fait un cerveau : être informé de ce qui se passe (l'odeur), l'analyser afin de déterminer sa nature (nourriture / danger) et en tirer les conséquences (c'est à dire modifier son comportement, ce qui se limite ici à se déplacer vers l'odeur ou s'en éloigner).

Ce qui est important de comprendre, ce que ce schéma qui existe dans une version infiniment plus complexe chez nous, s'est développée à partir de l'odorat. Par conséquent le sens de l'odorat est relié dans le cerveau aux zones corticales les plus archaïques, celles en charge de nos comportements les plus basiques.

C'est là qu'intervient une deuxième notion. Dans un cerveau, plus une zone corticale est ancienne, plus elle est régulée (inhibée) par les zones corticales plus récentes. Chez l'humain, contrairement à d'autres animaux, il existe beaucoup de zones corticales plus récentes que celles qui sont en charge de l'odorat et des comportements archaïques. Par conséquent, contrairement à d'autres animaux, chez l'humain ces zones sont très fortement inhibées.

Et là on atteint un des points importants. S'il est vrai que contrairement au chien nous avons beaucoup moins de récepteurs aux odeurs dans notre nez, notre sens de l'odorat est également inhibé par le reste du cortex. Nous ne sommes pas seulement mal équipés, mais en plus nous ne sommes pas faits pour utiliser cet équipement.

En pratique chez l'humain l'odorat fonctionne presque (le mot presque est important) uniquement comme un détecteur chimique de proximité. Et quand il fonctionne, il provoque un comportement basique. Une odeur appétissante (là encore les mots comptent) vous donne faim (pour de vrai), une odeur écœurante vous donne la nausée, un parfum peut vous provoquer du désir ou du rejet et dans des situations extrêmes, une odeur peut vous faire peur.

Si j'ai pris le temps de vous rappeler tout ça, c'est parce que ceci est en lien direct avec les pathologies neurologiques qui affectent l'odorat.

On va s'y intéresser sans plus attendre après avoir rappelé que les récepteurs de l'odorat, pour fonctionner, ont besoin de deux choses : un accès aux odeurs, et de l'humidité.

Si votre nez est bouché, évidemment ça marche moins bien, et si vos muqueuses sont sèches, ça ne marche pas du tout. Avant de parler de pathologie il faut donc s'assurer que ces deux conditions sont remplies et dites-vous bien que ce n'est pas du tout évident.

D'abord le truc bête, mais tous les médicaments avec un effet sympathico ou parasympathico mimétique nuisent à l'odorat (en diminuant les sécrétions muqueuses et donc l'humidité locale ou en hypertrophiant les muqueuses, ce qui diminue le flux d'air, et en augmentant la clairance des sécrétions, ce qui accélère l'élimination des molécules odorantes). C'est un piège classique d'avoir des gens qui disent ne plus avoir d'odorat alors qu'ils vivent dans un environnement trop sec, ou qu'ils vivent dans un environnement allergène (qui provoque des rhinites) ou qui prennent des médicaments (comme des vasoconstricteurs, des diurétiques, des antihypertenseurs etc.).

Une fois ce piège désamorcé, il y a trois situations.

  • L'absence ou la baisse de l'odorat (anosmie ou hyposmie). Si ça fonctionne moins bien alors que les récepteurs sont là, c'est que soit le message n'arrive pas au cortex, soit qu'il y a moins de neurones dans le cortex pour percevoir le cortex. Si le message n'arrive pas c'est que quelque chose vient léser le nerf olfactif. On va pas rentrer dans son anatomie parce que le nerf olfactif n'est pas un nerf dans le sens classique du terme, mais on va se contenter de dire que c'est un nerf qui longe la base du crâne et les méninges pour aller dans le tronc en passant sous les lobes frontaux. Sur ce trajet il est particulièrement vulnérable aux traumas crâniens (mais en général on ne passe pas à côté), aux pathologies méningées et au pathologies frontales. Une des causes les plus fréquentes est le méningiome frontal. Et comme les méningiomes sont des tumeurs bénignes prédominant très nettement chez les femmes (en raison des œstrogènes), on a un des axiomes de la pathologie neurologique de l'odorat : toute baisse ou disparition de l'odorat chez une femme de plus de 50 ans est un méningiome frontal jusqu'à preuve du contraire. Si les méninges ne sont pas atteintes, il faut penser au lobe frontal. Et plus particulièrement à la partie interne et inférieure. D'où le deuxième axiome : toute modification du comportement associé à une baisse de l'odorat est une lésion frontale, jusqu'à preuve du contraire. Enfin, si le nerf olfactif n'a rien, il faut penser au tronc. Hors AVC, la plupart des pathologies du tronc sont dégénératives, plus particulièrement extrapyramidales. D'où les troisièmes axiome, toute anosmie ou hyposmie d'installation lentement progressive, associée à des troubles du sommeil ou une dysautonomie (essentiellement une hypotension) est une pathologie extrapyramidale jusqu'à preuve du contraire. Malheureusement dans ce dernier cas, la preuve du contraire vous risquez de l'attendre longtemps parce que les explorations fonctionnelles de la dégénérescence du tronc ne valent rien. D'ailleurs l'HAS rappel qu'il est inutile de tester l'odorat en l'absence de plainte dans les pathologies extra pyramidales.
  • La perception d'odeurs inexistantes. C'est presque toujours le signe d'une épilepsie si l'odeur survient et se termine brutalement. C'est souvent une odeur désagréable (cacosmie) que les gens ont du mal à décrire, parfois proche de l'odeur de brûlé (mais tout est possible). Un argument fort est que cette odeur explose dans la conscience. Ce n’est pas une vague odeur, c'est là, c'est fort, c'est partout et ça peut provoquer des réactions curieuses, notamment des émotions très fortes (peur, plaisir, faim, etc..). Ce qui est important c'est que le phénomène envahit la conscience (inutile de paniquer si parfois au coin de votre cuisine vous sentez une vague odeur de pancake, c'est probablement juste votre voisine qui fait des crêpes). Autre point important, cette sensation est stéréotypée : c'est la même odeur qui survient avec la même brutalité (là encore si vous sentez souvent des odeurs différentes en bas de chez vous, c'est juste les éboueurs qui passent avec leur camion).
  • Dernier cas, la perception d'odeurs réelles mais avec une intensité ou une qualité inhabituelle. Par exemple quelqu'un cuisine de pâtes à l'eau et vous le sentez trois pièces plus loin et ça vous dégoûte alors que d'habitude vous aimez ça. Le cas le plus fréquent de cette hyperosmie est... La grossesse (non ce n’est pas une légende). C'est lié d'une part la modification des muqueuses et de leur hydratation, d'autre part à l'effet hormonal de la grossesse sur le cerveau avec une modification comportementale où les stimuli archaïques sont amplifiés (ce n’est pas pour rien qu'une femme enceinte est beaucoup plus sensible au goût, aux sons, à la position de son corps et à des comportements qui lui ne sont pas habituels chez elle comme le très curieux besoin de faire un nid ou une tanière. C'est un atavisme, c'est notre côté animal qui grâce aux hormones resurgit malgré tout l'intellect qu'on peut avoir par ailleurs). En dehors de la grossesse, il existe aussi des situations pour le coup pathologiques qui peuvent provoquer ces phénomènes mais c'est très rare et c'est souvent des phénomènes mixites paranéoplasiques ou dysimmuns (mais là on est dans l'histoire de chasse).
Bon en pratique, l'odorat est donc un sens à part, archaïque, qui peut néanmoins être le témoin de pathologie neurologiques qu'il faut savoir évoquer sans pour autant se pendre la tête

Et pour les curieux, voilà le passage où Proust parle de la madeleine. Une des preuves du changement de registre de langage avec le temps, est que ce texte, qui est du point de vue de la précision de la description neurologique une merveille, semble être écrit dans un style précieux et désuet, alors qu'il était rédigé dans un français courant lors de sa publication.
« Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. II m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse : ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu'elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu'elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D'où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l'appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m'apporte un peu moins que la seconde. II est temps que je m'arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n'est pas en lui, mais en moi. [...] Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C'est à lui de trouver la vérité ».

Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
La neurologie des autres spécialités médicales.
https://etunpeudeneurologie.blogspot.com/2017/08/collection-neurologie-des-autres.html