13.8.16

Parkinson et soins intensifs



Vendredi 13/08 - 22 heures - un inconnu à la forme bactérienne** déguisé en chaton (@jaxsail pour le nommer), me demande si je peux écrire un billet de type fiche mémo du Parkinson en réa. Le défi est dans chaque mot : fiche mémo implique de la concision et je suis neurologue; Parkinson en réa implique de parler de réa, et je suis neurologue, je sais même pas où c'est; et enfin il me suggère de lui dire ce qui est connu en pratique, alors que.... je suis neurologue. Ma spécialité n'est pas typique de celles qui connaissent des choses pratiques.

Mais bon, comme je suis d'astreinte, j'ai rassemblé les documents que j'ai et je vous propose le texte qui suit, qui d'une certaine façon concerne toute personne qui prend en charge un patient parkinsonien.

Avertissement avant lecture, certains passage de ce billet utilisent des mots crus comme  "substantia nigra pars compacta". Il est donc NSFR. Si vous êtes mineur en neurologie, passez directement à la partie intitulée "on fait quoi".

On attaque.

Tout d'abord il faut distinguer deux cas différents.
  1. Un patient parkinsonien connu, bien équilibré, qui en raison d'un geste programmé va devoir être hospitalisé dans un service de soins intensifs (en post opératoire d'une chirurgie lourde par exemple).
  2. Un patient parkinsonien connu et bien équilibré victime d'un évènement imprévu, nécessitant un service de soins intensifs (un traumatisme grave ou un infarctus du myocarde par exemple). 
Le point commun à ces deux situations est le terrain parkinsonien et les contraintes de son traitement.

Mais commençons par un petit point de physiopathologie pas trop connu mais qui va m'aider à vous expliquer certains problèmes ultérieurs. 

Quand on parle de maladie de Parkinson, on vous inflige le schéma sur la double inhibition avec salto arrière du putamen et du globus pallidus. Entre nous rien qu'entre nous, je sais bien que vous n'avez pas la moindre idée de la localisation ni du rôle de ces structures. Rassurez-vous, la plupart des neurologues non plus (enfin si, on sait que c'est vaguement au milieu en bas du cerveau mais pas plus). Et si tout le monde l'ignore, c'est parce qu'en pratique ça n'a aucun forme d'importance pour la prise en charge thérapeutique. 

Malheureusement, les choses sont comme toujours un poil plus compliqué que cette double inhibition. Dans ce qui suit, je vais vous parler de quelque chose qui en 2016 est déjà considéré comme (très) inexact, mais qui sera bien suffisant pour ce billet.

En 2003 Heiko Braak (un allemand) a publié (*) le résultat d'une décennie d'études de coupe fines de cerveaux en tous genres. Des milliers de tranches. A partir de ces observations, il a démontré que la fameuse mort neuronale dans la substantia nigra pars compacta (c'est long à dire) responsable de la baisse de la quantité de Dopamine (elle-même responsable du dysfonctionnement du putamen et du globus pallidus) qui provoque la maladie de Parkinson, n'est "que" la troisième étape d'un processus dégénératif bien plus global.

Le premier qui m'écrit que ce paragraphe est l'illustration parfaite de l'origine de son dégoût de la neurologie, peut sortir tout de suite.


Reprenons. Quand une maladie de Parkinson débute, vous êtres déjà à l'épisode trois de ce que l’on nomme une alpha synucleïnopathie (au scrabble c'est utile). Et là, curieux comme vous êtes, vous vous demandez ce qu'il a bien pu se passer dans les deux premiers épisodes.

La premier stade correspond à la mort neuronale dans les noyaux dorsaux des nerfs IX (glosso pharyngien) et X (le vague), et le deuxième stade correspond à l'atteinte du locus coerulus (ça veut dire le coin bleu en latin) . Et comme je n'hésite pas à vous spoiler la suite, l'épisode suivant (le stade quatre), correspond à l'atteinte du mesocortex (ou paralimbic cortex en anglais).

Comme il y a sans doute des noyés, on va se compter. Et si tout le monde est présent on va continuer.
Bien. Vous demandez sans doute ce que vous avez fait de mal pour subir une telle densité d'informations. Vous allez voir, ça va s'éclaircir très rapidement, le plus dur est passé.

Toutes ces structures n'étant pas là par hasard, on va très brièvement voir à quoi elles servent.
  • Le noyau du IX, entre autres branches, est l'origine du nerf de Hering qui innerve les sinus carotidiens. Il assure la liaison entre les barorécepteurs, les chémo-récepteurs (au glucose) et les centres vasomoteurs carotidiens. C'est ce nerf qui assure une partie de l'adaptation du diamètre vasculaire carotidien à la position, à la pression artérielle périphérique (c’est-à-dire aortique du point de vu neurologique) et à la glycémie. Bon bref, sans le nerf de Hering, vous ne régulez plus grand chose au niveau de vos carotides et vous avez toute une série de troubles se manifestant par des malaises, de l'hypotension ou des réactions paradoxales à l'hypo ou l'hyper glycémie.
  • Le noyau du X n'existe pas. Il s'agit en réalité d'un agglomérat de pleins de noyaux différents. Dans cet ensemble, deux sont plus importants pour ce qui nous concerne : le noyau dorsal du vague et le noyau ambigu. Le noyau dorsal, assure à lui seul, la partie la plus importante de l'activité autonome du poumon et des intestins, et le noyau ambigu joue un rôle identique pour le cœur (d’où le fameux malaise vagal). Bon re-bref, quand ces noyaux sont atteints, vous avez une dysautonomie dont la manifestation la plus visible est une constipation mais qui a également un retentissement cardiaque et pulmonaire. 
  • Le locus coerulus (découvert par l'improbable Félix Vicq d'Azyr) est un des noyaux (peut être le noyau), responsable des cycles veille sommeil, et il est l'une des principales cibles de l'alcool, des benzodiazépines et des opiacés. Bon re-re-bref, quand il est atteint, le sommeil devient anarchique, et la sensibilité aux traitements sédatifs devient aléatoire. 
  • On va faire une impasse sur l'atteinte de la substantia nigra pars compacta, son atteinte donne les signes moteurs de la maladie de Parkinson. Si vous avez oublié, cherchez "Parkinson" sur ce blog. 
  • Enfin le mesocortex. C'est une structure semi archaïque dont l'étude mobilise des centaines de chercheurs. Il régule une partie du système limbique (mémoire, émotion, apprentissage, actions dirigées vers un but et auto contrôle). Bon, re-re-re-bref, quand il est atteint, vous êtes agité, confus et violent…. Et insensible aux sédatifs car vous n'avez plus de locus coerulus et que les neuroleptiques vous sont interdit en raison du risque akinétique….pour se résumer : vous êtes super mal). 
Voilà, on a terminé la partie cthulienne de ce billet, vous pouvez vous reposer et boire une café (trois sucres pour moi).

Pourquoi vous ai-je parlé de tout ça ? Parce que bien évidemment ce sont ces déficits, plus que les signes moteurs, qui peuvent poser un problème en soins intensifs.

Du coup voyons les armes disponibles…. Les traitements.

[bruit du vide sans rien autour]

Ce n'est pas une forme d'humour, c'est la réalité, il n'y a quasiment rien. Et quand je dis rien, il faut bien comprendre l'intensité de ce rien. Ce n'est pas le rien de : "on a pas de traitement efficace pour agir sur les structures atteintes", c'est le rien de : "on a beau avoir des molécules, les récepteurs à ces traitements étant détruits, on ne peut pas agir dessus". 

Et là, les plus malicieux d'entre vous vont me dire que c'est "un peu" faux (le "un peux" c'est pour pas me fâcher, c'est sympa, j'apprécie le geste). Vous allez me donner l'exemple de la L Dopa qui corrige les troubles moteurs, des agonistes dopaminergiques dont l'apomorphine, de la CLOZAPINE pour les troubles psy etc….

Sauf que pas du tout. Ces traitements n'agissent sur aucune des structures atteintes. Leur cible est en aval. C'est pour ça que même avec le meilleur traitement antiparkinsonien de l'univers, la maladie évolue vers une dysautonomie (dont la constipation, les troubles digestifs et nutritionnels, l'anosmie, les hypotensions, les troubles urinaires, les insomnies rebelles, les hypersomnies…), et des troubles du comportement, de la mémoire, et de l'humeur.

Et pour couronner le tout il faut ici rajouter un petit paragraphe sur la galénique des traitements dont on vient de parler et leurs effets secondaires.

  • La L DOPA (MODOPAR, SINEMET) n'existe que sous forme orale en comprimés plus ou moins dispersibles. On peut la trouver sous une forme soluble (DUODOPA) mais cette forme est réservée à une administration entérale digestive nécessitant une gastrostomie. Sa demi vie est d'au maximum quatre heures (oubliez la pub) et en cas de surdosage, vous avez des dyskinésies qui peuvent être violentes avec un risque de fracture élevé, et un risque de lésions cutanées en cas de contention physique (sans compter le risque d'arrachement des éventuelles voies d'abord). Le sous dosage est pire, avec une akinésie aiguë pouvant entraîner une impossibilité à déglutir (et donc à prendre leur traitement) voir une détresse respiratoire chez les patients les plus avancés dans la maladie. 
  • L'APOMORPHINE. C'est un agoniste dopaminergique. C'est le seul traitement qui existe autrement qu'en forme orale. Elle s'utilise en sous cutané soit avec des stylos, soit avec une pompe (identique aux PCA de MORPHINE). La demi vie est de 15 minutes. En cas de surdosage on a les mêmes effets que le L DOPA, auxquels s'ajoutent une hypotension majeure (pouvant désamorcer la pompe cardiaque) et des hallucinations avec une agitation pouvant entraîner des automutilations. 
  • Les autres agonistes n'ont pas d'intérêt ici. 
Faisons le point.
  1. on a une maladie qui, par des mécanismes divers et variés, altère la régulation centrale de toute les fonctions vitales.
  2. on a peu de médicaments, leur durée d'action est minime, leur effet est indirect, et leur galénique n'est pas du tout pratique
  3. la marge thérapeutique de ces médicaments devient rapidement étroite au fur et à mesure que la maladie progresse, OU, et c'est là que c'est compliqué à comprendre, que leur effet est entravé. Pour le dire autrement, plus vous sortez de la marge thérapeutique, plus il est difficile d'y revenir. Un peu comme une fusée au décollage, si elle part en vrille ne serait-ce que légèrement, elle sort de sa trajectoire et se disloque. 
Alors on fait quoi ?

Et bien ça dépend des deux cas de figure énumérés au début de ce billet. [Point essentiel, en l'absence de consensus ou de recos uniques, les conseils que je vous donne sont les miens, à rediscuter évidemment avec vos neurologues préférés).

Cas 1 : le patient qui va bien et qui va avoir un geste programmé sans urgence nécessitant un passage en unité de soin intensif (une chirurgie lourde par exemple).

  • Avant le geste
  1. Convertir tout le traitement en L-DOPA per os, en préférant la forme dispérsible. C'est plus maniable que les agonistes classiques car la demi vie est plus stable pour un même patient.
  2. Faire un essai une fois d'APOMORPHINE en stylo injectable (en général 3 mg SC) sous couvert de DOMPERIDONE pour en évaluer la tolérance (en particulier sur la tension et les hallucinations). Cet essai vous permettra d'utiliser l'APOMORPHINE lors de l'hospitalisation si pour une raison ou une autre, la voie orale n'était plus disponible. 
  3. Juste avant le geste, même en cas de nécessité d'être à jeun, maintenir le traitement par L-DOPA, avec si possible une dernière prise au plus près de la sédation (très peu d'eau est nécessaire pour la faire fondre, même en cas de vomissements le risque est minime).
  • Pendant le geste… bon ben bonne chance hein !
  • Après le geste,
  1.  reprendre la L-DOPA dès que possible, et si impossible, passer immédiatement à l'apomorphine. 
  2. Si cette impossibilité est liée à un trouble de déglutition, une seule injection est suffisante pour débloquer le patient et lui permette d'avaler. 
  3. Si c'est un autre problème, utiliser une pompe type PCA et reprendre le traitement habituel quand la voie orale est à nouveau disponible. 

Cas 2 : va bien mais a eu un accident ou un geste imprévu.


  • Bon ben c'est plus embêtant. Comme vous n'avez pas le temps de faire des calculs complexes, partez du principe que :
  1. si votre patient peut avaler, il lui faut du MODOPAR (je vous laisse vous faire plaisir avec la DCI, vous allez voir) 125 mg dispersible toutes les 4 heures. 
  2. S'il ne peut pas avaler, partez sur l'APOMORPHINE au PCA (NB les ampoules doivent être diluées de moitié, même les formes prêtes à l’emploi, si vous ne voulez pas de nécroses au point d'injection) à 3 mg/heure en SC. 
  3. Dans les deux cas testez la motricité toutes les heures. 
  4. En cas de dyskinésies vous baissez les doses, en cas d'akinésie vous les montez (paliers de 1/4 par prise pour le MODOPAR et 1 mg/h pour l'APOMORPHINE).
  5. Après la phase aigüe, vous pouvez reprendre la prise en charge décrite dans le cas 1. 

Et dans les deux cas

  • En cas de dysautonomie tensionnelle, n'utilisez pas de molécules à effet central (il n'y a plus de récepteur) et pensez à remplir en même temps (hypo et hyper tension sont associés).
  • En cas d'agitation, insomnie, confusion, agressivité, n'utilisez pas de benzodiazépines (pas de récepteur non plus). Votre seule amie est la CLOZAPINE à utiliser par pallier de 1/4 de 25 mg par jour et sous contrôle de la NFS. 
  • Méfiez-vous des troubles de la conduction cardiaques, la dysautonomie du vague en est un gros pourvoyeur. 
  • Méfiez-vous des hypoglycémies et hyperglycémie, la régulation des sinus carotidien par les chemo répéteurs est perturbée. 
  • Et évidemment, quel que soit le cas, ne prescrivez jamais (c'est un des rares jamais en neuro), de neuroleptique classique 
Et en bonus :

Imaginons l'impossible : vous vous retrouvez dans la jungle ultime, genre un hôpital périphérique sans réa. Dans cette situation il se peut que vous vous retrouviez à la fois sans APOMORPHINE, et à la fois obligé d’utiliser une SNG. Le premier réflexe est évidemment de fuir. Si cela n'est pas possible le deuxième réflexe est de passer la L-Dopa par la SNG. Et il se peut que ça marche. Au tout début en tout cas parce qu'avec le phénomène d’oxydation de la Dopa vous allez vite voir que votre SNG va se boucher. Si cela se produit, votre dernier espoir est la mise en place d'une potion de Dopa. Si si, ça s'appelle vraiment comme ça. Vous mettez dans 500 de G5, 10 comprimés de MODOPAR 125 dispersible, vous secouez très fort et, avec toute la conviction des situations désespérées vous demandez à une IDE de vous trouver soit du citron (bon, évidemment elle n'a aucune chance), soit du coca. Rassurez là c'est pas pour vous. En fait, votre L-Dopa va s’oxyder si vous ne la mélangez pas à quelque chose d'acide. Et comme vous n'êtes pas chimiste, vous devez trouver quelque chose d'acide et parfaitement comestible. Le coca rempli ces deux conditions. Vous en mettez donc 10 cc dans le 500 (comme il est déjà sucré ça ne devrait pas trop mousser). Et vous passez cette potion sur 12 à 16 heures. Inutile de préciser que cette recette est parfaitement hors AMM, et que je ne vous la donne que pour une situation qui serait hors normes.


Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
Parkinson et Pathologies du mouvement

et dans la collection
Urgences.




*  - http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0197458002000659
** selon @jaxsail, c'est un champignon....